Changements en cours de chantier – Version 2013
Dans un monde idéal, à la suite de la conception d’un immeuble, la mise en plan, la rédaction des devis, et les études de sol, le travail à exécuter serait défini de façon finale et un contrat à forfait serait donné. L’article 2109 du Code civil du Québec, qui se lit comme suit, s’appliquerait alors dans toute sa rigueur :
Article 2109
« Lorsque le contrat est à forfait, le client doit payer le prix convenu et il ne peut prétendre à une diminution du prix en faisant valoir que l’ouvrage ou le service a exigé moins de travail ou a coûté moins cher qu’il n’avait été prévu.
Pareillement, l’entrepreneur ou le prestataire de services ne peut prétendre à une augmentation du prix pour un motif contraire.
Le prix forfaitaire reste le même, bien que des modifications aient été apportées aux conditions d’exécution initialement prévues, à moins que les parties n’en aient convenu autrement. »
Sauf dans le cas de petits ouvrages ou de travaux limités effectués par des sous-traitants, ceci est irréaliste. Les entrepreneurs ne veulent pas nécessairement accepter tous les risques liés aux conditions variables sur un chantier et les propriétaires veulent, directement ou par le biais de professionnels de leur choix, pouvoir apporter des changements de dernière heure. Conformément au troisième alinéa de l’article 2109, la plupart des contrats à forfait contiennent donc des clauses de modification, moyennant une rémunération additionnelle. Les juristes diront alors qu’il s’agit d’un contrat à forfait relatif.
AU CCDC-2
Un exemple d’un tel contrat est le CCDC-2, 2008 (Comité canadien des documents de construction). Celui-ci permet les modifications en cours de chantier et prévoit un mécanisme à cet égard. Notez que ces mécanismes sont mis à la disposition du maître d’œuvre[*] (et non de l’entrepreneur) pour modifier l’ouvrage. Comme les mécanismes prévus à ce contrat se retrouvent dans plusieurs contrats à forfait, sous différentes formes, avec une procédure qui est propre à chaque contrat, nous nous proposons donc d’analyser le mécanisme du CCDC-2, 2008. Si l’entrepreneur veut modifier l’ouvrage ou faire une substitution, il pourra proposer un avenant de modification, mais en l’absence d’entente, il ne pourra exiger que le contrat soit changé.
Avenants de modification
Le premier mécanisme est celui des avenants de modification qui se trouvent aux clauses générales (CG‑6.1). Lorsque le maître d’œuvre, par le biais du professionnel de son choix, veut modifier l’ouvrage, celui-ci demande à l’entrepreneur de lui proposer un prix relativement à cette modification. Si les parties s’entendent, le professionnel émet un avenant de modification que les parties signent. Une fois l’avenant signé par chacune des parties, l’entrepreneur exécutera le travail en plus des autres ouvrages prévus au contrat.
Les négociations d’avenants de modification suscitent parfois certains problèmes. En effet, un changement aux devis peut ne constituer qu’une substitution, de sorte qu’un travail est remplacé par un autre et que le prix convenu ne représentera que la différence entre les deux coûts. Toutefois, certaines modifications et surtout certains ajouts ont des répercussions beaucoup plus grandes et peuvent affecter la productivité générale du chantier, l’échéancier, ajouter des conditions d’hiver, etc. L’avenant de modification peut alors être conclu avec des réserves à l’égard de certains de ces éléments, mais ces réserves augmentent l’incertitude pour le propriétaire qui ne connaîtra le coût final qu’à la fin du chantier.
Directives de modification
En principe, comme l’entrepreneur ne peut modifier le contrat sans un avenant de modification, l’absence d’entente pourrait complètement immobiliser le chantier. Pour ce motif, le contrat CCDC 2, 2008 prévoit aussi un mécanisme de directives de modification (CG-6.2). Le professionnel donne alors ses instructions, sans qu’un prix n’ait été convenu, et sans que le contrat ne soit modifié. L’entrepreneur sera alors obligé d’exécuter les travaux, même en l’absence d’une entente sur le prix. Le contrat lui permettra de demander aux professionnels, en fin de chantier, de rendre une décision (CG-8.1) sur le montant de sa juste rémunération. Une méthode est prévue pour réaliser ce calcul (CG-6.3.4). S’il n’est pas satisfait de cette décision, les mécanismes de résolution de conflits (médiation ou arbitrage) seront utilisés ou les parties iront devant les tribunaux. De la même façon que le prix, les délais causés par la directive de modification sur l’échéancier pourront faire l’objet d’une médiation ou d’un arbitrage. Une directive de modification ne peut toutefois demander une modification à l’ouvrage incompatible avec les documents contractuels ou changer unilatéralement le délai d’exécution.
[*] Les termes en italique sont spécifiquement définis au CCDC
AUTRES CONTRATS
Comme mentionné ci-dessus, les contrats autres que le CCDC-2 contiennent généralement des mécanismes similaires. Par exemple, dans le Cahier des charges et devis généraux du Ministère des transports, on parle d’ouvrages imprévus et il y a un mécanisme de préapprobation. Dans le Devis normalisé administratif (NQ 1809-900) aux clauses administratives générales, il est question de « modification au marché ». Ces deux contrats sont à taux unitaire et comprennent donc des mécanismes de contrôle des quantités. Il est important que les gestionnaires de chantier connaissent bien les procédures et les délais contenus au contrat et respectent ces mécanismes. En l’absence d’indication au contrat, les parties devront se référer au Code civil du Québec à titre de droit supplétif. Il est à craindre que, vu la rédaction de l’article 2109 cité plus haut, sans une entente qui en convienne autrement, il ne puisse y avoir de modifications payées, à moins que les parties n’aient créé un précédent par leurs agissements antérieurs (voir « Tolérance » ci-après). Avant la réforme du Code civil du Québec en 1994, toute telle convention devait être faite par écrit ; ce n’est plus le cas. Donc tous les moyens de preuve sont permis. Toutefois, « les paroles s’envolent, les écrits restent » et la présence d’un écrit clair est le meilleur gage d’une absence de litige. Nous recommandons toujours qu’il y ait un document écrit avant de procéder à une modification du contrat, même si celui-ci est verbal.
TOLÉRANCE
Même en présence d’un contrat écrit, les parties créent fréquemment, à l’usage, des mécanismes différents de ceux prévus au contrat. ATTENTION : la tolérance répétée de ces nouvelles procédures peut modifier le contrat implicitement et de façon imprévue. En effet, les tribunaux reconnaîtront la procédure acceptée par tous, tout au long du chantier, même si celle du contrat a été contournée. Dans un tel cas, les parties pourront difficilement prévoir avec certitude les règles auxquelles elles seront soumises. Il serait prudent dans de tels cas de modifier le contrat pour refléter la procédure désirée ou encore indiquer par écrit que l’exception ne constitue pas une renonciation aux règles prévues au contrat.
Quel que soit votre contrat, verbal ou écrit, élaboré ou simple, si votre engagement est à forfait ou que le prix des travaux a fait l’objet d’une estimation, nous suggérons que vous obteniez un écrit avant toute modification. Si l’écrit ne fixe pas de façon définitive le montant supplémentaire, prévoyez au moins un mécanisme pour le calculer (p. ex : coût majoré ou autre).
Le présent document est un aide-mémoire seulement et ne remplace pas l’opinion de votre avocat.
P.-S. : la majorité de nos aide-mémoire est disponible gratuitement sur : www.lgra.ca
© Lalonde Geraghty Riendeau, Avocats S.P.A., 2013