Le devoir de loyauté
Dans le cadre d’un contrat de travail, un employeur est en droit de s’attendre à ce que son employé se montre loyal à son égard. Cette évidence, maintes fois affirmée par les tribunaux, a été codifiée en 1994 dans le Code civil du Québec. Le présent aide-mémoire vise à aider le lecteur à se familiariser avec la notion législative du devoir de loyauté de l’employé, de même qu’avec les paramètres déterminés par la jurisprudence. Voyons d’abord le texte du Code civil du Québec.
« Article 2088: Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail.
Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l’information réfère à la réputation et à la vie privée d’autrui. »
Note: Le Code civil du Québec, en particulier son article 2088, est de droit supplétif, c’est-à-dire, que celui-ci s’applique en l’absence d’un contrat plus exigeant, ou en l’absence de tout écrit. Toutefois, il peut exister un contrat d’emploi comportant une clause de non-concurrence. L’article 2089 du Code civil du Québec fixe certaines limites à ces clauses. Le présent document ne traite que des situations où il n’y a pas de contrat.
Pendant l’emploi, il est évident que le comportement du travailleur doit être empreint de loyauté, ce qui exclut par exemple le fait de travailler pour un compétiteur sans le consentement de l’employeur. Les informations à caractère confidentiel doivent également être protégées, cette obligation étant par ailleurs réciproque, l’employeur ne devant pas dévoiler les informations confidentielles sur son employé.
Le devoir de loyauté survit, même après que l’employé a quitté son emploi ou en est congédié. La jurisprudence a précisé de quelle façon. Nous examinerons les principaux paramètres.
a) La concurrence
Dans le système où l’on vit, toute personne a le droit de faire concurrence ou de travailler pour un concurrent de son ancien employeur. Bien entendu, cette concurrence ne doit pas devenir déloyale. Sera considérée comme déloyale une concurrence qui implique le transfert d’un employeur à l’autre, sans le consentement du premier, de méthodes de fabrication, de secrets industriels, de documents internes ou de contacts privilégiés. Cette limite ne va toutefois pas jusqu’à interdire à l’employé d’apporter avec lui ses connaissances, ses aptitudes ou ses habilités. Celles-ci lui appartiennent, même si elles ont été développées dans le cadre d’un emploi.
b) Les informations confidentielles
Tel que vu plus haut, les informations à caractère confidentiel sont couvertes par l’obligation de loyauté et ne peuvent être transférées d’un employeur à un autre. Il n’est toutefois pas toujours facile de déterminer ce qui constitue une information confidentielle. L’exemple le plus fréquent est la liste de clients; celle-ci n’est pas toujours confidentielle. Il est en effet des domaines où l’identification de la clientèle cible est beaucoup plus aisée que dans d’autres. Dans les cas où cette identification est aisée, la liste de clients ne sera généralement pas considérée comme un document confidentiel, et le fait de servir un ou plusieurs clients de cette liste pour le bénéfice d’un autre employeur ne sera pas nécessairement considéré comme une concurrence déloyale. L’utilisation qui est faite de la liste de clients est donc aussi importante que la liste elle-même. Ainsi, le tribunal examinera si l’employé a eu recours de façon systématique à cette liste pour détourner la clientèlede son ancien employeur, ce qui serait considéré comme déloyal. Les tribunaux sont plutôt chatouilleux en semblable matière et l’employé devra agir avec la plus grande prudence pour éviter les reproches.
c) Les informations sur la vie privée d’autrui
Tel que l’indique le deuxième alinéa de l’article 2088 C.c.Q., les informations sur la vie privée d’autrui, que ce soient des clients ou d’autres employés, sont protégées, sans limite de temps.
d) Le niveau hiérarchique
L’un des critères qui sera examiné avec attention pour évaluer le degré de sévérité avec lequel les tribunaux jugeront la conduite de l’ex-employé est son niveau hiérarchique. Ainsi, on exigera moins de la part d’un simple ouvrier, d’un représentant des ventes ou d’un employé de niveau hiérarchique inférieur. Par contre, plus le poste quitté par l’employé était élevé dans la hiérarchie de l’ex-employeur, plus on sera exigeant sur sa probité professionnelle. Les employés de très haut niveau hiérarchique sont même traités en fiduciaire de leur employeur, et, à ce titre, ils doivent faire preuve de la plus grande prudence lorsqu’ils quittent celui-ci pour travailler avec la concurrence.
Durée
Quant à la durée de ce devoir de loyauté, le « délai raisonnable », auquel fait référence le texte de loi, représente une période de quelques mois, à moins de circonstances exceptionnelles. Les variations se justifient par l’importance hiérarchique de l’employé et la nature particulière de l’entreprise.
Les recours
Les recours qui appartiennent à l’ancien employeur sont multiples et généralement assez efficaces. Le recours le plus utilisé, lorsqu’un dommage immédiat et irréparable est causé par les agissements de l’ex-employé, est l’injonction. Il s’agit d’une ordonnance de la Cour enjoignant l’employé de cesser l’activité qui lui est reprochée. Celle-ci peut être obtenue de façon immédiate pour un maximum de dix (10) jours (injonction provisoire), de façon temporaire pendant l’instance (injonction interlocutoire) ou de façon permanente. En plus, ou au lieu de l’injonction, l’employeur peut réclamer des dommages et intérêts de son ex-employé.
Les deux recours ci-haut mentionnés peuvent également, dans certains cas, être exercés contre le nouvel employeur. Si ce dernier participe sciemment à une concurrence déloyale ou pose des actes qui sont de nature à causer des dommages à l’ex-employeur, les tribunaux accordent de plus en plus souvent des sanctions judiciaires à leur égard au bénéfice de l’ancien employeur. Dans tous les cas, c’est l’ancien employeur qui a le fardeau de prouver des actes déloyaux, ses dommages ou la nécessité de prononcer une injonction.
Le présent document est un aide-mémoire seulement et ne remplace pas l’opinion de votre avocat.
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©Lalonde Geraghty Riendeau inc. 2017